M. Raoul-Duval, chargé d’Affaires de France à Tunis, A M. Couve de Murville, Ministre des Affaires étrangères.
Tunis, 28 juin 1961
Je me réfère à mon télégramme n°27631.
La position défendue ce matin par M. Ladgham paraît suivre la ligne que le gouvernement tunisien avait adoptée après avoir renoncé en janvier 1960 à engager « la bataille de Bizerte ».
Elle s’était révélée dès février de la même année à l’occasion des incidents du Demna. C’est cependant de façon beaucoup plus catégorique que le secrétaire d’Etat a exposé ce matin la doctrine fondamentale de son gouvernement au sujet de la base. En effet, mon interlocuteur a d’abord rappelé que celui-ci demeurait plus que jamais attaché au principe de l’évacuation. Il a fait état des notes qui nous avaient été adressées les 16 février et 7 novembre 1960, des entretiens de Rambouillet et des propos qu’il m’avait tenus plus récemment sur l’avenir de Bizerte (mon télégramme n°2346)2. Il constatait que tous ces efforts étaient restés sans résultat. Il tenait à réaffirmer la détermination bien arrêtée de M. Bourguiba de rétablir tôt ou tard l’exercice total de la souveraineté tunisienne sur Bizerte. Nous pouvions évidemment persister dans notre attitude : les Tunisiens ne comptaient pas engager une épreuve de force, mais n’accepteraient jamais un développement quelconque de notre potentiel militaire.
J’ai eu le sentiment que les autorités tunisiennes n’entendaient pas se livrer à une action sur l’ensemble de notre dispositif et rouvrir « la bataille de Bizerte », mais qu’en revanche, elles s’opposeraient énergiquement au renforcement de nos moyens.
Elles paraissent décidées, dans la conjoncture politique actuelle, à saisir toute occasion pour tenter de nous amener, même au prix d’incidents dont il est difficile de prévoir la gravité, à engager le dialogue sur le principe de l’évacuation de la base.
1 Par télégramme nos 2763-2767, également du 28 juin, non retenu, le chargé d’affaires de France faisait état d’un récent entretien avec M. Ladgham, au cours duquel ce dernier avait soulevé, « sur un ton parfois violent », l’ensemble des problèmes de la base de Bizerte, en s’élevant notamment contre l’agrandissement de la piste. Le gouvernement tunisien, qui demandait que le principe de négociations dans le sens souhaité par le gouvernement tunisien, qui demandait que le principe de l’évacuation fût admis, Tunis entendait que Paris n’apportât aucune modification au statu quo. Constatant qu’il se trouvait devant un fait accompli, le gouvernement tunisien se préparait à en tirer les conséquences. M. Raoul-Duval rétorquait que son gouvernement ne saurait admettre cette conception, et qu’il entendait maintenir les éléments nécessaires pour assurer le fonctionnement normal de la base. Le chargé d’affaires faisait toute réserve quant aux propos qui venaient de lui être tenus et protestait contre l’attitude menaçante prise à plusieurs reprises au cours des derniers jours par la grande nationale.2 Le télégramme de Tunis nos 2846-2850, du 30 mais, n’a pas été reproduit. Il relatait un entretien entre M. Ladgham et le chargé d’affaires de France. M. Ladgham avait fait son interlocuteur un exposé du rôle que Bizerte et la Tunisie devraient jouer dans un Maghreb où l’Algérie serait indépendante. Les discussions techniques en cours ne pouvaient selon lui prendre tout leur sens que si l’on définissait l’avenir de Bizerte dans un esprit nouveau de réelle coopération franco-tunisienne. La Tunisie devrait devenir sur le plan technique un pays pilote ; pour exploiter au maximum les possibilités de l’arsenal, elle avait cependant besoin de la France. La base de Bizerte pouvait devenir, grâce à la coopération des deux pays, un centre de formation technique pour l’aviation et la marine et un pôle d’attraction pour les élites maghrébines et africaines. La question avait d’autant plus d’importance que l’on risquait de voir ces élites attirées par des idéologies dangereuses. M. Ladgham se préoccupait de l’avenir du Maroc ainsi que de celui d’une Algérie composée d’éléments hétéroclites dont certains seraient tournés vers Moscou et Pékin. Pour jouer un tel atout, il fallait cependant que l’hypothèque que constituait l’actuelle situation de la base fût levée. Le gouvernement, tunisien ne cherchait pas, alors que les pourparlers d’Evian étaient en cours (Sur ces pourparlers, qui avaient en fait été ajournés le 13 juin, et ne reprendront à Lugrin que le 20 juillet, voir ci-dessus le n°286), à provoquer une crise. Il valait mieux, selon M. Ladgham, régler ces problèmes dans un avenir suffisamment proche, car la Tunisie ne désirait pas être amenée, « au printemps prochain, ou plus tard », à prendre sous l’effet de certaines pressions une position irréversible.
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